Comme le montre bien le hashtag #SaccageParis, la présence des élus sur les réseaux, twitter en tête, est à la fois indispensable et susceptible de se retourner contre eux…
Entourés de collaborateurs biberonnés aux réseaux sociaux, les élus bénéficient désormais, en ligne, d’une visibilité à la carte. Ce grand bousculement des codes de la communication politique fait apparaître deux problématiques. La première, relativement cosmétique, est celle de la fragilisation de la figure d’autorité que constituait naguère l’élu omniscient et omnipotent, par l’institution d’une forme d’égalitarisme des discours, aggravé par le pseudonymat. Twitter, l’amphithéâtre Flavien d’Internet, semble en effet condamner les décideurs faisant le pari d’une visibilité en ligne à d’inexorables combats, à la façon de gladiateurs soumis au pollice verso (pouce baissé) d’abonnés qui font et défont les réputations. Cette nouvelle arène, qui prend en l’espèce des allures de volière, pose la question de la légitimité de ceux que le suffrage désigne pour tenir les rênes. Comment faire peser une autorité naturelle de décideur au milieu de nuées d’activistes-experts aux plumes acérées ? Le renversement des rapports de pouvoir entre gouvernants et gouvernés est consommé.
La seconde, plus cruciale sur le fond, est celle de la nécessaire adaptation de la réponse politique aux nouvelles contraintes de cette démocratie super-directe. Mis au pas d’un calendrier et d’un auditoire dont ils n’ont plus l’entière maîtrise, les décideurs doivent composer avec le double impératif, souvent contradictoire, de rendre-compte factuellement, preuves à l’appui, de leurs mandats, mais avec la conscience du paradoxe que, sur les réseaux, ceux à qui l’on parle… ne sont pas ceux qui vous élisent.
Son lancement en avril 2021 avait valu à la Capitale un sursaut d’attention médiatique : le hashtag #SaccageParis dicte, depuis bientôt deux ans, une large partie de la stratégie de riposte en ligne de la collectivité parisienne. Plongés dans des interfaces virtuelles sans règles et sans arbitres, ceux qui gouvernent découvrent avec effroi la force de frappe de militants dématérialisés qui remettent profondément en question, au-delà de la méthode, le projet politique de la municipalité. En réponse aux mises en cause, la mairie a lancé en novembre 2022 un billet quotidien “anti fake–news”, étalement de faits effectivement sourcés mais, comme tout, politiquement discutables (ce qui est bien le cœur du sujet de ses détracteurs), tombant ainsi dans l’écueil d’une riposte déconnectée du véritable objet de la critique qui lui est adressée. Cet feinte naïveté, qui sort le sujet politique du débat pour s’en tenir à des calculs d’apothicaires de vérités a priori incontestables, fragilise finalement davantage la communication de ces élus : ils se trouvent enfermés dans une conception de l’action publique bornée aux faits froids, dont l’objectivité (éventuelle !) ne se traduit pas toujours en perception perception positive par les électeurs.
Lutter contre le délitement déjà entamé de la parole politique implique donc de replacer les visions au cœur des controverses démocratiques, y compris en ligne, tout en se gardant de participer à l’inflation discursive, et en évitant le « bullshit », devenu très risqué. Une recette difficile à mettre en œuvre à l’heure du tout-communicationnel…
Edouard Jouannault,