Alors que les Parlementaires perdent en influence, les élus locaux en gagnent chaque jour davantage. La fragmentation de l’Assemblée nationale depuis juin 2022 et la moindre connaissance par les députés des réalités du terrain, conséquence de la fin du cumul des mandats, offrent aux élus locaux ingénieux des marges de manœuvre inédites qu’il peut être utile d’explorer avec eux. 

Si la concrétisation tarde, partout s’expriment aujourd’hui des aspirations à la décentralisation – et jusques aux sommets de l’Etat : lors du 65e anniversaire du Conseil Constitutionnel, en octobre 2023, le Président exprimait lui-même son désir d’initier une décentralisation à la fois audacieuse et adaptée à chaque région. Localement, c’est, au-delà des principes, une transformation profonde de l’administration de notre pays qui est attendue. L’envie de décentralisation traduit une conviction : les territoires savent faire si on ne les bride pas inutilement. Ils ont… l’esprit d’entreprise.

Les élus le clament depuis des années, mais les Français aussi en sont intiment persuadés. Une récente enquête de l’Institut CSA montrent qu’ils jugent l’organisation territoriale peu lisible et souhaitent à 95% qu’elle soit réformée. Trois Français sur quatre estiment que la décentralisation est « une bonne chose » et souhaitent qu’elle soit renforcée pour assurer davantage de proximité entre les décisionnaires et les citoyens, mais aussi pour mieux s’adapter à la spécifié des territoires. 

Cette aspiration et les évolutions qui en découlent ou vont en découler ne font qu’accroîtrel’importance de développer, dans bien des dossiers, une approche territoriale des affaires publiques. La régionalisation s’accentue et les métropoles gagnent en puissance, établissant les élus locaux comme des acteurs incontournables des politiques publiques. Détenant à la fois ressources et capacité de décision, ils constituent de plus en plus un contrepoids significatif aux décisions centralisées de la capitale.

Dans ce contexte, les entreprises doivent saisir l’intérêt stratégique de s’appuyer, en plus de l’action locale, sur les réseaux d’élus territoriaux pour promouvoir leurs intérêts. Les partenariats avec les associations d’élus se multiplient, à l’image d’Airbnb et de l’AMRF (Association des Maires ruraux de France) qui se sont associés pour stimuler le tourisme en zone rurale et défendre les intérêts du groupe face aux diverses législations sur les meublés touristiques. 

L’influence croissante des Régions de France et, en particulier, de sa présidente Carole Delga fait de ce club de « grands élus » une force politique émergente face à l’Etat, notamment sur les sujets de développement économique, de transports ou de formation professionnelle, compétences éminentes de la Région. Le pouvoir de l’AMF (Association des Maires de France et des présidents d’Intercommunalités) n’est plus à démontrer lui non-plus. Le dernier Congrès des Maires a encore illustré la montée en puissance de personnalités comme David Lisnard, Président de l’AMF, qui influencent de plus en plus la vie politique nationale depuis leurs fiefs locaux et qui peuvent participer à la prise en compte nationale d’une problématique qui leur est « remontée » d’ici et là . 

Fédérer des coalitions d’alliés en remontant du local vers le national devient dès lors une stratégie payante pour peser sur la décision publique : les élus locaux qui font partie de telles coalitions en deviennent de fait les meilleurs porte-paroles si on sait les convaincre du bien-fondé de l’action attendue, qui fait fréquemment écho à leurs propres préoccupations de terrain, à leur vécu d’élu et à celui de leurs administrés.

La force des coalitions territoriales est souvent irrésistible – Vae Solis en a plusieurs fois fait l’expérience au service de ses clients en Affaires publiques. Chaque cas requérant, naturellement, d’identifier avec soin le bon échelon d’influence et la bonne composition pour la coalition qui permettra le plus probablement d’obtenir des avancées concrètes. 

Focus : Délégation parlementaire aux outre-mer et groupe parlementaire LIOT Dans la stratégie d’approche territoriale en affaires publiques, il est intéressant de s’intéresser à la particularité des délégations parlementaires et des groupes politiques transpartisans. La délégation des outre-mer, composée notamment de l’ensemble des élus ultramarins constitue, de par sa nature et sa mission, une force parlementaire influente qui, dans un contexte de majorité relative à l’Assemblée nationale, transcende les sensibilités politiques et peut peser sur les décisions de l’exécutif. A titre d’exemple, le lobbying transpartisan des parlementaires ultramarins a forcé le Gouvernement à prendre des engagements forts en matière de réduction de l’impact de la pollution au chlordécone sur les populations antillaises.  Par ailleurs, la création, en juin 2022, du groupe parlementaire Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT), composé de 21 députés de tous horizons politiques, dont cinq élus ultramarins, a renforcé la capacité d’influence de ces territoires. Ce groupe a même pu être décrit comme une sorte une réponse au non-cumul des mandats par la capacité qu’il a acquise à porter la parole territoriale face aux autres groupes politiques plus classiques. 

Jean-Baptiste Aricat (Consultant), Thomas Coulom (Consultant), Paul Rolland (Consultant senior)