Spin doctors, communicants, lobbyistes, hommes de l’ombre… les termes ne manquent paspour désigner ceux dont le métier est d’aider leurs clients, personnes publiques ou entreprises, à persuader l’opinion. Mais les maîtres de l’influence que furent Ive Lee, Edward Bernays ou encore George Creel auraient sans doute eu du mal à imaginer que les ONGelles-mêmes recourraient un jour au « spin » et au « plan de com ». Et pourtant…

Un recours aux spin doctors aujourd’hui indispensable ?

Bien que les Organisations Non-Gouvernementales existent depuis le XIXe siècle – l’American Anti-Slavery Society est ainsi née en 1830 -, ce n’est que récemment que le « phénomène  ONG » a pris une place centrale dans le débat public, en parallèle de la digitalisation de la société et du débat public : généreusement financées par leurs adhérents mais aussi par les Etats, écoutées à Washington comme à Bruxelles, très présentes sur les plateaux télé et sur les réseaux, les ONG parviennent à peser sur les politiques publiques en « mettant à l’agenda » les sujets humanitaires (Médecins du Monde), environnementaux (WWF) ou encore de droits humains (Amnesty international). 

Le prix de ce succès est qu’il règne désormais entre elles une importance concurrence pour le recrutement des « techniciens » dont elles ont besoin – juristes experts du plaidoyer, leveurs de fonds (fundraisers) mais aussi spin doctors, les uns et les autres parfois réticents à s’engager à leurs côtés au risque de s’aliéner leurs grands clients « corporate ». CertainesONG prennent désormais directement en charge leur stratégie de « spin » et de communication. D’autres continuent de se tourner vers des spécialistes.

Des spin doctors, mais pour quoi faire ? 

Il est vrai qu’ici, nécessité fait loi : au fil du temps, les niveaux de décideurs à influencer se sont multipliés (local, national, international) et le nombre des cibles à chaque niveau s’est accru : gouvernement, parlementaires, mais aussi société civile organisée. Cette multiplicité des acteurs, mais aussi souvent la grande technicité des sujets de revendication (de la fiscalité à la chimie des hydrocarbures en passant par la biologie des écosystèmes) induit une réellecomplexité qui ne rend pas aisée la médiatisation ou la reconnaissance par le décideur publicdes problématiques portées par les ONG. 

Pour ces nouveaux apôtres de l’influence, aujourd’hui acteurs incontournables de la politique dans son sens le plus large – la polis – LA mission est désormais de faire apparaitre leur cause particulière dans un débat public sursaturé d’idées nobles dont chaque porteur assure que sa mise en œuvre est urgente…  La différenciation, qui permet seule l’accès aux cibles dans ununivers encombré, est donc clé, ce qui suppose d’identifier des « punch lines » aisément mémorisables (fussent-elles, parfois, simplificatrices) et, pour chaque mouvement, d’endosser un nom qui ne laisse pas indifférent – par exemple « Stop aux cancers de nos enfants » en Loire-Atlantique. 

Il s’agit bien sûr aussi de se ménager l’accès à la cible. Pour ce faire, les ONG doivent avant tout « se légitimer » auprès des multiples parties-prenantes (grand public, media, élus etc.) en sensibilisant un nombre suffisant de personnes justifiant que leur démarche est bien intentionnée, voire nécessaire. Cela passe bien sûr par le digital, mais aussi par le terrain. Une démarche réussie est souvent déclinée au niveau national ou international, mais aussi au niveau local  par la mobilisation, dans les territoires, de la « société civile organisée ». L’objectif est de bâtir des convergences et des résonances entre avis favorables émanant du web comme du bistrot du coin, du conseil municipal de sous-préfecture comme de l’Assemblée nationale, chacun étant spécifiquement « travaillé » selon ses attentes particulières. La cible est ainsi comme prise en tenailles, sa non-adhésion à une opinion si souvent entendue devenant psychologiquement coûteuse. Idéalement, elle en deviendra elle-même promotrice…

Différenciation, légitimation, production de plaidoyers convaincants et de slogans qui frappent les esprits, construction de coalitions et création de séquences successives qui se muent en plan de com : on est précisément là au cœur du savoir-faire des spin-doctors. Pas étonnant qu’ils jouent désormais un rôle si important dans le monde du « non-profit ».

Bryce Lebecq, Vincent Le Roux et Nathan Ortega 

Les affaires publiques dans les ONG : nouvel eldorado des jeunes ?

La « quête de sens » des nouvelles générations fait couler beaucoup d’encre. Nombreux sont les jeunes diplômés à s’orienter vers cette voie non gouvernementale perçue comme plus vertueuse et correspondant davantage aux valeurs qu’ils souhaitent défendre. Les promotions des grandes écoles et universités ne sont plus la chasse gardée des grandes entreprises, comme on le voit même à Agro Paris Tech ou HEC.

Marches pour le Climat, MeToo, guerre en Ukraine… Les événements de ces dernières années ont fortement influencé les choix d’une génération qui souhaite mettre son savoir-faire au profit de causes sociales, sociétales, environnementales. Pour autant, peut-on réellement parler des ONG comme du nouvel eldorado des jeunes ? Il serait réducteur de considérer que l’ensemble d’une génération fuit le monde de l’entreprise et de la politique pour s’orienter professionnellement vers une ONG. Il s’agit davantage pour les jeunes de faire en sorte que leurs convictions et leurs valeurs soient prises en compte dans les entreprises qu’ils rejoignent ainsi que dans le choix des clients pour lesquels ils seront amenés à travailler.

BL,VLR et NO.