Mifid II restera un cas d’école des effets pervers d’une politique publique. Prenant acte de ses conséquences négatives, l’Union européenne amorce un retour en arrière… qui parait largement illusoire. Faisant face à l’attrition de la recherche sell-side, les émetteurs doivent engager un dialogue « désintermédié » avec les investisseurs.
Plus de cinq ans après son entrée en vigueur en janvier 2018, l’UE a affiché son intention de revenir sur l’une des mesures les plus controversées de la directive Mifid II : l’obligation pour les brokers de facturer séparément leur recherche et leurs frais de courtage (unbundling).Visant à introduire plus de transparence, Mifid II a gravement compromis le financement de la recherche, qui reposait sur des subventions croisées. Du point de vue de l’investisseur, la recherche était un service « offert ». Dès lors qu’il devenait explicitement payant, de nombreux gérants ont réduit leurs frais en renonçant à payer la recherche, ou en renforçant leurs propres capacités d’analyse. L’investissement dans la recherche externe a ainsi été divisé par plus de trois en Europe entre 2016 et 2022 (de 5,5 Mds$ à 1,5Md$) et le nombre d’analystes à Paris a chuté : ils étaient 232 en 2020 contre 700 vingt ans plus tôt ! Si la situation reste satisfaisante pour les plus grosses sociétés, les small et midcaps ont subi une chute sans précédent de leur couverture, puisque les capitalisations inférieures à 1 Md€ sont désormais suivies par seulement trois analystes en moyenne (cinq avant Mifid II) et doivent avoir recours à la recherche sponsorisée pour assurer une couverture minimale.
La qualité de l’analyse s’en est également ressentie, puisque l’absence d’un business model robuste pour la recherche a logiquement poussé les meilleurs analystes à passer du côté buy-side, notamment dans les hedge funds. Au total, c’est un maillon essentiel du fonctionnement des marchés financiers qui a été durablement affaibli, avec des conséquences dommageables pour l’attractivité et la liquidité des marchés et, conséquence, une sous-performance marquée des small et midcaps.
Tout cela était hélas prévisible. Dès l’entrée en vigueur de Mifid 2, le Président de l’AMF Robert Ophèle l’expliquait sans détours : « On peut craindre des effets pervers : attrition de la recherche sur les valeurs petites et moyennes, concentration de l’activité de recherche, via son internalisation par les grands investisseurs, via une concentration du secteur de la recherche indépendante, via une facturation “compétitive” du service par de grands brokers. (…) Or la préservation d’un écosystème dynamique de valeurs moyennes cotées est l’une des conditions du dynamisme de notre économie et il n’y a pas de marché performant sans confrontation de plusieurs analyses indépendantes de qualité ».
Il est rassurant que la Commission européenne fasse amende honorable et revienne sur les dispositions les plus délétères du texte, mais les gérants ont lourdement investi dans des systèmes pour se conformer aux exigences de Mifid. Surtout, la perte de compétences dans le secteur de la recherche indépendante est telle qu’on ne peut pas envisager un retour à la situation antérieure. Comme l’écrivait un chroniqueur du FT à ce sujet, « you can’t get the crap back in the donkey » ( « on ne peut pas faire rentrer le dentifrice dans le tube »).
Un retour au « monde d’avant » paraît donc largement illusoire, et les sociétés cotées sont dans l’obligation de construire une relation « désintermédiée » avec les investisseurs, en accentuant leurs efforts d’articulation et de déploiement de leur equity story.
Oscar Bonnand (Consultant) & Alexis de Maigret (Associé)