Tenues à huis clos, les négociations entre partenaires sociaux rassemblent les représentants des organisations patronales et syndicales représentatives au niveau national interprofessionnel (Medef, CPME et U2P pour les employeurs, CFDT, CFTC, CGT, FO et CFE-CGC pour les salariés). Chacune porte ses intérêts et sa vision, mais tous recherchent le bon compromis social. Entrez, aux côtés du Medef, dans les coulisses de ces grand messes méconnues du grand public

Depuis la Libération, les relations sociales obéissent à des règles bien précises, certaines légales et d’autres tacites. Il s’agit pour les partenaires sociaux, en discutant sur tel ou tel angle des relations entre employeurs et salariés, de contribuer à construire la norme socialequi s’imposera ensuite dans les entreprises. Le thème de chaque négociation est issu de l’« agenda social autonome » des partenaires sociaux ou, alternativement, relève de l’article L1 du Code du travail (négociations « proposées » par le gouvernement). Objectif de la négociation ? Parvenir à un « accord national interprofessionnel », ou ANI, qui aura ensuite force de loi. L’enjeu est important : sans accord, c’est l’Etat qui reprend la main et fixe la règle…

Le Medef, au cœur des négociations

Historiquement, les négociations se déroulaient au siège du Medef, 55 avenue Bosquet à Paris. Mais, depuis l’accord « refondateur » sur le paritarisme d’avril 2022, la question du lieu de la négociation, hautement symbolique, doit être discutée à chaque début de négociation. Si, comme c’est souvent le cas, les négociateurs décident que cela se tient au Medef, alors le « 55 » devient, pendant la durée d’un ou plusieurs rounds de négociation, le cœur battant de la vie paritaire.

C’est dans une salle au deuxième étage de l’avenue Bosquet qu’ont été discutés près d’une dizaine d’accords en 3 ans, dont les accords sur le paritarisme (voir encadré ci-dessous), le partage de la valeur en entreprise, ou encore sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Une règle immémoriale qui ordonne les usages sociaux détermine un placement immuable autour de la table : les négociateurs du Medef, de la CPME et de l’U2P sont côte à côte ; en face d’eux, celui de la CGT. A gauche du Medef : les négociateurs de la CFDT et FO, à droite la CFE-CGC et la CFTC.

Chaque organisation est représentée par un « négociateur », soit 8 « chefs de file » accompagnés de leurs conseillers, en retrait. Au fur et à mesure des « séances paritaires », ces négociations permettent de bâtir un texte qui, soumis étape par étape à la direction de chaque organisation, complété et amendé, deviendra in fine le projet d’accord « soumis à signature ».

A la suite du fameux accord « paritarisme », une première réunion dite « de méthode » permet désormais de fixer le calendrier des négociations, souvent suivi par des réunions « de diagnostic »préparatoires à l’entrée en négociation. 

Si les rencontres débutent ponctuellement à l’heure dite, elles peuvent en revanche largement déborder de l’horaire prévu et s’étirer parfois tard dans la nuit… En attendant un signe hypothétique venu de l’étage – par sms -, les journalistes patientent au rez-de-chaussée, dans le « salon des présidents » qui sert de salle de presse depuis une vingtaine d’année. Ils attendent studieusement l’irruption des « chefs de file » qui viendront tout à tour « débriefer » la séance ou le dénouement.

Le jour J, le dialogue s’engage sur le texte envoyé auparavant aux diverses délégations patronales et syndicales. Un ordre protocolaire, reflet de la représentativité des organisations (CFDT, CGT, FO, CGC, CFTC) règle les prises de parole des négociateurs, chacun s’exprimant pour donner sa position et ses remarques sur le projet. Des « suspensions de séance » rythment ces échanges studieux, parfois arides, d’où ne sont pas absents morceaux de bravoure techniques, traits d’humour et débats sémantiques. Elles sont l’occasion de discussions chacun de son côté, pour analyser l’état des travaux et déterminer la tactique du retour en séance, préparer une position, ou bien analyser une réponse à une proposition nouvelle… 

Huis clos : le théâtre des négociations

Conditions sine qua non d’une négociation réussie, les débats ont lieu à l’écart des regards médiatiques. Ce choix permet une discussion plus franche et des échanges plus directs, favorisant la recherche de compromis équilibrés. 

Pour autant, il est arrivé que certains négociateurs décident de quitter la table en pleine réunion. Ce n’est parfois qu’un départ théâtral, bluff de négociation ou message à l’adresse des adhérents. Les journalistes les plus chevronnés ne s’y laissent pas prendre, sachant que ce qui est déclaré bien haut dans la salle de presse est parfois très différent de ce qui se joue réellement en salle de négociation… Bien entendu, il arrive en fin de marathon que les « numéros 1 », qui ne négocient pas eux-mêmes mais sont tenus au courant par leur chef de file, se passent des coups de fil pour lever telle incompréhension ou trancher un point crucial.

Dans de rares cas, certaines négociations ont une issue malheureuse, les parties prnantes ne parvenant pas à un compromis acceptable pour chacune, mais elles ont eu une portée très importante. Un familier du ballet paritaire souligne qu’« une négociation qui n’aboutit pas est une promesse d’avenir. Ce n’est jamais un coup d’épée dans l’eau. Ce n’est jamais du travail pour rien ».

En cas d’accord, les négociateurs ne signent pas « sur le siège », au terme de la dernière séance dite « conclusive » : ils soumettent un avis à leurs instances, qui décideront de la signature de l’accord par le président ou le délégué général de leur confédération. Et une séance de signature officielle sera organisée plus tard…

ENCADRE : Des ANI sur quoi ?

Les négociations réussies ces dernières années ont permis des ANI sur le paritarisme, le partage de la valeur ou encore les ATMP (accidents du travail et maladies professionnelles). Tous illustrent la capacité de ces acteurs à répondre par des accords constructifs et pragmatiques aux besoins des salariés et des entreprises.

De la vivacité de ce dialogue et de la réussite de ces négociations dépend le dynamisme économique et social du pays. C’est ce que l’on appelle la « démocratie sociale »…