Ce fut l’une des crises médiatiques les plus spectaculaires de 2022 : au cœur du mois d’août était publiée une vidéo privée de la Première ministre finlandaise, Sanna Marin, s’amusant et dansant lors d’une soirée entre amis. Les réactions à ce mini-événement, abondamment couvert en Finlande et au-delà durant des semaines, témoignent bien de la tension inévitable entre plusieurs attentes antinomiques des citoyens à l’égard de leur classe politique. D’une part, ils expriment le désir d’avoir des dirigeants qui leur ressemblent, à leur image, plus « représentatifs » ; d’autre part, ils attendent d’eux l’exigence un ascétisme exemplaire, qui tend au sacrificiel. Cette superposition paradoxale de la volonté d’avoir des décideurs modèles à l’envie de décideurs comme tout le monde est nouvelle et elle fait entrer les représentants politiques dans une ère hautement « crisogène ».

La révélation de bribes de la vie privée des personnalités politiques ne date pas d’hier. Dès les années 60, les tabloïds anglais se sont développés sur ce marché du voyeurisme. Mais la culture de l’information instantanée et le pouvoir de propagation des réseaux sociaux ont multiplié et amplifié les polémiques qui en ressortent. On peut distinguer différentes typologies de crises pouvant impacter les personnalités publiques, à dissocier selon l’existence ou non d’une dimension judiciaire. Dans le cas de l’épisode médiatique autour de Sanna Marin, il ne s’agit pas d’une utilisation abusive de privilèges liés à l’exercice du pouvoir politique, ni d’interdits juridiques bravés (comme ce fut par exemple le cas un an plus tôt avec les « parties » organisées par Boris Johnson en plein covid). Dès lors, la réaction du public nait seulement de l’opposition entre des comportements sociaux privés – plus ou moins ordinaires – et la réserve traditionnellement attendue de qui occupe des fonctions institutionnelles.

Cela peut se comprendre. Mais en exigeant des élus une exemplarité telle qu’ils doivent y sacrifier leur vie sociale, on contribue à décrédibiliser la parole publique (une femme qui s’amuse le samedi soir étant réputée indigne de la fonction, donc suspecte dans son expression) mais aussi et surtout à assécher le réservoir des futures recrues pour la vie politique. Lorsque l’exemplarité attendue s’étend au-delà de ce qui est requis juridiquement et même de la déontologie s’attachant à tout emploi public ou privé, elle contribue ainsi à la dégradation du modèle démocratique dont les esprits les plus critiques des « déviants » se disent pourtant les défenseurs ardents… Ajoutons que les femmes politiques sont plus sujettes que les hommes au procès « moral » en mauvais comportement, ce qui est problématique dès lors que leur leur légitimité est aujourd’hui encore contestée dans un monde politiqueessentiellement masculin.

Face à ce paradoxe, les décideurs commencent progressivement à se saisir du sujet de manière proactive et à revendiquer la normalisation de leur vie privée. La formule de Sanna Marin disant vouloir être une Première ministre qui vit comme son âge, n’est pas sans rappeler dans une certaine mesure le concept d’un Président normal porté par François Hollande en 2012.

En termes de gestion de crise, et même si la prégnance d’un luthérianisme qui promeut la transparence totale rendait la chose difficile en Finlande, Sanna Marin aurait probablement gagné à refuser de se soumettre au piège du dépistage de drogue (dont l’initiative revient d’ailleurs à un parlementaire de sa propre majorité de coalition). Par ce renoncement, la Première ministre a agi comme si elle était, ou se sentait, partiellement fautive. Une autre manière d’aborder la crise aurait pu être de communiquer sur la nature résolument positive de cette séquence après tout bon enfant, tout en mettant les suspicions de consommation de drogue sur le compte de l’instrumentalisation de l’affaire par les oppositions. Dans un monde où l’on parle de déconnexion des élites, il y avait sans doute de la place pour une stratégie consistant à présenter comme rassurant le fait que les représentants politiques aient des comportements sociaux ordinaires et que, à ce titre, ils partagent comme tout un chacun des moments festifs avec leurs proches, leurs familles et leurs amis.

Peut-être plus difficilement accessible dans l’univers de représentations scandinaves, cette option aurait en tout cas été la bonne dans un pays comme la France dès lors que ni la loi, ni les règles de maintien élémentaire dans l’espace public ne sont violées. L’opinion y aurait probablement compris que, si l’ « exemplarité » interdit de danser entre amis le week-end, on ne tardera pas à voir disparaître les candidats aux fonctions électives et ministérielles, en tout cas les plus « normaux » au sens noble du terme. Et que juger un élu sur cette seule base serait inique et déraisonnable.

Sabrina Bouguereau, consultante & Arthur Nowicki consultant senior