Comment le numérique impacte-t-il la confiance ? C’est la problématique que l’Institut Messinea souhaité explorer dans le cadre d’un Recueil intitulé « La confiance à l’ère du numérique : cinq problématiques, six regards »*Il restitue, sous la plume de Marianne Fougère, six points de vue complémentaires et rappelle le rôle central que joue la confiance dans le bon fonctionnement de nos sociétés et de nos économies.

Dans le langage de tous les jours, la confiance apparaît sous plusieurs visages : confiance en soi, confiance en autrui, confiance dans les institutions mais aussi confiance en l’avenir. La confiance n’est pas seulement révélatrice d’un certain optimisme ou d’un trait psychologique, elle représente la condition préalable à tout échange économique. Les économistes voient ainsi en elle l’un des ingrédients de la croissance.

La philosophe Michela Marzano nous rappelle que, « au sens strict du termela confiance renvoie à l’idée qu’on peut se fier à quelqu’un ou à quelque chose. Le verbe confier () signifie, en effet, qu’on remet quelque chose de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui et en s’abandonnant ainsi à sa bienveillance et à sa bonne foi  ». La confiance n’apparaît donc pas toujours d’une manière innée.Pour pallier ce déficit de confiance spontanée, des garde-fous existent et sont souventdéployés (promesses, serments, règles formelles, contrats, tiers de confiance, garants, etc.). Tandis quela réputation constitue un autre rouage essentiel de la confiance.

Cependant, la tentation de ne pas respecter ces garde-fous et ses engagements peut être grande. Trois moments clés rythment ainsi la confiance : « quand la confiance s’installe, quand elle fonctionne, et quand elle entre en crise (ce qui finit toujours par arriver) ». Elle serait ainsi arrivée à ce troisième moment, notamment en France. « En France, la défiance règne », soulignent les économistes français Yann Algan et Pierre Cahuc.

Et la numérisation de nos sociétés et économies ne fait pas exception. Elle illustre parfaitement que, aujourd’hui comme hier, rien ne s’entreprend ni ne se crée sans confiance. Avec la digitalisation du monde, « nous interagissons davantage… avec des gens dans lesquels nous n’avons pas confiance (et peut-être même à l’égard desquels nous éprouvons de la défiance) qu’avec des gens dans lesquels nous avons confiance ». La question de la confiance numérique confirme l’existence d’un double mouvement à l’œuvre dans les sociétés du XXIe siècle : celui d’une époque digitalisée qui a besoin de confiance… mais ne l’accorde pas toujours, voire ne semble plus toujours y croire.

Les marques doivent ainsi trouver de nouveaux moyens pour construire une relation de confiance avec les consommateurs et ce alors même que le numérique a bouleversé la manière dont une entreprisevend et communique. La construction de cette relation passe ainsi, selon l’experte en marketing digital et fondatrice du groupe Numberly, Yseulys Costes, par une démarche de transparence sur la valeur effective apportée par la collecte, le traitement et l’usage des données des consommateurs et utilisateurs. Si les données sont désormais encadrées juridiquement en Europe grâce notamment au RGPD, Yseulys Costes pose la question de son efficacité et s’interroge sur « la capacité des consommateurs à en comprendre les tenants et les aboutissants ».

Le numérique a totalement inversé le cycle de pénétration des innovations. Jusqu’à la création d’Internet, les innovations entraient dans nos sociétés par la sphère professionnelle d’abord et puis seulement dans notre sphère privée, explique-t-elle. « L’inversion des flux de diffusion [par exemple, pour les réseaux sociaux et certains outils de messagerie] a bouleversé la vitesse d’adoption des innovations et, surtout, leur encadrement ». À défaut de structure normative solide, « des problèmes d’encadrement et d’apprentissage de l’usage lui-même » apparaissent.

Le numérique apporte avec lui de nouvelles inégalités par le biais de l’illectronisme et donc de laméfiance. Un apprentissage général permettant une maîtrise des outils numériques est à ce titre nécessaire afin que les utilisateurs prennent confiance en eux et tirent parti de tous les avantages offerts par le numérique, tout en se prémunissant des risques qu’il engendre.

Cette dualité s’illustre également dans la manière dont le numérique transforme notre relation aux médias, à l’espace informationnel en général et aux modes d’expression individuelle. Pour le meilleur comme pour le pire. Médias traditionnels, nouveaux médias, réseaux sociaux : aucun d’entre eux n’obtient désormais une majorité de confiance de la part des Français. Selon le journaliste Frédéric Filloux, le numérique « encourage la surenchère, la polémique et la caricature au détriment du recul, de la distance et de l’analyse ». Sans compter la propagation des fake news facilitée par la multiplication des réseaux sociaux. Ce dernier craint que ne se développe une information à deux vitesses : « l’information de qualité [risque de] se verticaliser peu à peu, au point de devenir l’apanage de gens éduqués, âgés et aisés financièrement (…) tandis qu’une majorité, plus jeune, s’informera médiocrement, via les chaînes d’infos ou les réseaux sociaux construits sur le clivage et la polarisation ».

En qui avoir confiance en ligne où rien ne semble fiable ? La réponse à cette menace doit passer, selonFrédéric Filloux, par davantage de moyens alloués aux journalistes. À ce titre, l’intelligence artificielle peut également être vecteur d’espoirs si elle est mise, par exemple, au service de l’investigation par sa capacité à extraire d’un très gros volume de data des informations pertinentes. Il estime par ailleurs que nous ne pourrons pas faire l’économie d’une refonte de la formation professionnelle des journalistes et, plus en amont, d’une éducation aux médias pour nos enfants.

Alors, peut-on raisonnablement faire confiance… à la confiance numérique ? Selon l’Institut Messine, la confiance numérique ne saurait être sacralisée mais le numérique ne doit pas non plus susciter une méfiance disproportionnée. L’idéal consisterait donc à trouver un juste milieu entre confiance aveugle et défiance totale… En se rappelant que, si la confiance numérique naît du lien, « sa véritable force réside dans le fait que, même si elle demeure à jamais fragile, elle engendre toujours du lien ».

Camille Formentini, directrice conseil Vae Solis Communications