L« tsunami » de défaillances d’entreprises, que beaucoup prédisaient pour 2021, n’a finalement pas eu lieu. Mais la situation macroéconomique a évolué : inflation généralisée, impact de la crise énergétique sur les marges, hausse des taux d’intérêt, poursuite des tensions dans les chaînes d’approvisionnement… et risque de récession, y compris dans les économies les plus résilientes. 2023 sonnera-t-elle la fin de la partie pour certaines de nos entreprises les plus fragiles ?

Bien que soutenu par de généreuses aides accordées par l’Etat (PGE, report de cotisations, chômage longue durée) et une croissance vigoureuse, le bilan des entreprises sera, en 2023, fortement sous tension. Cela sera surtout le cas pour les filières les plus cycliques, comme le BTP, certaines branches de la restauration encore victimes du covid et, bien sûr, le retail, historiquement exposé : Vivarte en 2020, Camaïeu, maintenant Go Sport…

Ces filières seront à surveiller d’autant plus attentivement que beaucoup sont directement exposées aux comportements “défensifs” des consommateurs, dans un contexte où le prix de l’énergie pèse sur leur pouvoir d’achat. Des mouvements sont également à attendre chez les industriels, entre ceux qui pâtissent des effets de la crise énergétique (comme l’atteste l’arrêt de la production chez William Saurin) et ceux qui font face à une révolution plus structurelle de leur secteur, comme les fonderies.

Dans une récente étude, l’assureur Allianz anticipe au niveau mondial une hausse des défaillances de près de 20 % en 2023 par rapport à 2022. Une perspective qui se matérialise déjà en France : plus de 41 000 procédures collectives ont été ouvertes en 2022 et certains macroéconomistes pressentent que la barre des 70 000 défaillances sera franchie cette année. Avec ces chiffres, la France fait figure d’exception en Europe, la faute d’une large populationde petites voire moyennes entreprises sous-capitalisées.

Beaucoup d’entreprises vont ainsi devoir (re)prendre l’habitude de communiquer sur des mauvaises nouvelles, en faisant la pédagogie des difficultés qu’elles rencontrent, endémystifiant la nécessité de se placer sous la protection de la justice et expliquant lesexternalités qui en découleront, notamment d’un point de vue social. 

L’exercice n’est pas simple. Deux facteurs viennent complexifier le déroulement d’une procédure collective et/ou la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui lui est associé : la multiplicité des interlocuteurs, d’une part (salariés, instances représentatives du personnel, actionnaires, autorités publiques, élus, médias), et donc la nécessité d’avoir un discours cohérent et transparent auprès de ces publics, et un cadre juridique strict qu’il est impératif de respecter, d’autre part. 

Dans ces conditions, l’efficacité de toute communication réside avant tout dans son anticipation. Une communication lacunaire, maladroite ou absente, en amont et/ou pendant ces procédures, fait peser de nombreux risques sur l’entreprise et peut générer, au-delà du risque réputationnel, des difficultés opérationnelles sérieuses. Les entreprises et leurs dirigeants doivent ainsi consacrer un temps précieux à l’élaboration d’une stratégie solide, comprenant l’identification des différents scénarios (cessation de paiement, plan de redressement, risque avéré de liquidation, etc.) et l’écriture d’un récit sincère et convaincant, à la fois sur l’origine de la procédure et sur la façon dont ils comptent assurer un rebond durable. Plusieurs règles, évidemment non exhaustives, doivent être prises en compte :

1. « Prévoir, c’est déjà agir » (Henri Fayol). Anticiper avec l’aide des conseils juridiquesle moment où la crise va effectivement se déclencher, comme la date du jugement d’ouverture de la procédure (de sauvegarde ou de redressement judiciaire par exemple).

2. « Connais le ciel et connais la terre, et ta victoire sera totale » (Sun Tzu). Cartographier l’ensemble des parties prenantes, notamment les journalistes qui couvrent la société etson secteur d’activité, ainsi que les décideurs publics, locaux et/ou nationaux, pourétablir le plus en amont possible des liens de confiance avec tous les interlocuteurs pertinents et faire le suivi de toutes les interactions.

3. « Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin » (Blaise Pascal). Recenser les questions sensibles et préparer leurs réponses afin de construire un récit convaincant sur le rationnel de la procédure, la défense des intérêts des salariés et des autres parties prenantes, et les moyens qu’utilisera l’entreprise pour rebondir et assurer sa pérennité. 

4. « Celui qui ne veut agir et parler qu’avec justesse finit par ne rien faire du tout » (Friedrich Nietzsche). Simplifier, vulgariser, rassurer, illustrer les messages, sans chercher à embellir la situation. En situation de crise, on ne vous fera jamais le reproche de la pédagogie, ni celui de la transparence.

5. « L’intelligence, c’est la faculté d’adaptation » (André Gide). On ne parle pas à un salarié présent depuis 10 ans dans l’entreprise comme on parle à un journaliste. Les messages doivent être adaptés à l’auditoire et disséminés stratégiquement en fonction de l’avancée de la procédure : on préfèrera un off-the-record pour préparer les esprits à une annonce, et un on-the-record pour rendre public une décision validée par les tribunaux. 

6. « Que la stratégie soit belle est un fait, mais n’oubliez pas de regarder le résultat »(Winston Churchill). S’entourer de conseils spécialisés, notamment encommunication, permet de mieux appréhender les différents scénarii et d’aligner les différentes actions internes et externes pour protéger la réputation de l’entreprise, un actif qui, s’il ne rentre pas complètement son bilan, conditionne sa solidité. 

En dépit des mois difficiles qui les attendent, les entreprises ne doivent pas se détourner de l’enjeu crucial de leur image : en matière de restructuring, les résultats économiques de demain sont en partie les fruits de la communication d’aujourd’hui.

Guillaume Gallix, consultant senior & Florian Ridart, directeur conseil