« La France a peur ! » L’été 2023 a plongé le pays dans un climat anxiogène… et urticant. Infestation, escalade, stupeur, psychose – puis disparition soudaine du sujet. Que s’est-il passé ?
On n’avait peut-être pas connu pareille psychose collective depuis la Guerre des Mondes d’Orson Welles. Dans une relative torpeur médiatique a soudain surgi le sujet qui allait faire la Une au tournant de l’été 2023. Faites le test : tapez « désinfecter », « se prémunir », « éradiquer » ou encore « pourquoi » dans la barre de recherche Google, la suggestion aura un lien avec ces incommodants intrus qui semblent avoir supplanté frelons asiatiques et autres chenilles processionnaires au palmarès des espèces invasives. Malgré l’absence de plan média et (a priori) de conseil en communication, la punaise de lit a obtenu 25 000 retombées de presse entre mai et octobre 2023 (contre à peine 600 sur la même période en 2022). Bien plus que la COP28 ! Résultat d’autant plus impressionnant qu’il n’était pas lié à une actualité particulière (ou dans notre jargon, à un « fait générateur »), puisque la sinistralité ne semble finalement pas avoir augmenté en 2023.
Notez bien qu’on ne parle pas ici d’un syndrome franco-français : les plus grands médias du monde (le New York Times, le Guardian, El Pais…) se sont intéressés à ce sujet qui a assurément contribué au rayonnement international de la capitale (sans coûter un centime au contribuable parisien, faut-il le préciser).
À tel point que le communicant est tenté d’extraire quelques best practices de cette séquence et que, au-delà de son aspect sanitaire, la « crise des punaises » intéresse autant le philosophe que l’entomologiste (notamment l’excellent Gaspard Koenig, rare synthèse des deux puisque son ouvrage sur les lombrics fait désormais autorité). Une fois le sujet essoré, on a donc vu fleurir les analyses sur le traitement médiatique des punaises, réflexions « méta-punaise » qui pourraient former le socle d’une nouvelle branche de la sociologie des médias.
Petit florilège : Selon Gaspard Koenig, justement, qui emprunte le concept à Daniel Kahnemann, « notre tendance à extrapoler ce type de fait divers s’explique par « l’heuristique de disponibilité », à savoir la propension de notre esprit à transformer des images choquantes en règle générale, au mépris de tout raisonnement probabiliste rigoureux ». Selon Jean Viard, « les sociétés se racontent toujours des histoires tragiques. Comme on est dans un monde ultra-médiatique, il nous en faut une tous les trois jours pour que ça maintienne notre intérêt ». Force est de constater que les médias ne sont pas en reste quand il s’agit d’entretenir la flamme de l’angoisse. Ainsi, une phrase relativement anodine et sortie de son contexte prononcée par le premier adjoint à la Ville de Paris Emmanuel Grégoire (« personne n’est à l’abri ») a-t-elle été reprise en bandeau par les chaines d’info en continu … puis dans une version anglaise spécialement effrayante dans les médias internationaux : « No one is safe ! »
Mais c’est indiscutablement le titre provocateur d’un article de Marianne qui résume le mieux cette fable tragi-comique moderne : « Course à l’info : le jour où le Hamas a éradiqué les punaises de lit ».
Gabrielle Maes (consultante) et Alexis de Maigret (Directeur associé)