Considérée comme un bastion de stabilité grâce à son mode de scrutin spécifique, la chambre haute du Parlement français évolue lentement mais sûrement dans sa fonction et sa représentativité. Son rôle ira croissant et ne peut plus être négligé.
Avec sa salle des « Quatre colonnes » grouillant de journalistes et ses questions au Gouvernement dans le « chaudron » de l’hémicycle, l’Assemblée nationale a longtemps pris toute la lumière face au Sénat. Tentures de velours, moquettes épaisses et dorures, la chambre haute, dominée quasiment sans partage par la droite et le centre droit depuis un demi-siècle, conservait , elle, l’image d’une assemblée de notables avançant au fameux « train de Sénateur » cher à La Fontaine. Cette assignation au second rôle n’est aujourd’hui plus de saison.
Le premier réveil date de 2017, le Sénat s’érigeant alors progressivement comme un contre-pouvoir utile face à une Assemblée nationale d’abord atone (premier quinquennat d’Emmanuel Macron) puis chaotique (législatives de 2022). L’utilisation politique descommissions d’enquête sur les affaires « Benalla », « McKinsey » ou « Fonds Marianne » adépoussiéré son image et renforcé son poids et sa crédibilité dans le contrôle de l’action gouvernementale. Au niveau législatif, il s’est imposé sur de « nouveaux » terrains en s’émancipant de ses traditionnelles chasses gardées (collectivités territoriales, libertés publiques). Son rôle dans le bras fer sur la loi Immigration fin 2023 en est un exemple notable.
La deuxième évolution, encore en devenir, tient à sa composition. Les élections sénatoriales de 2023 ont vu se renforcer les forces centristes avec le maintien du groupe Union Centriste etl’ascension d’Horizons. En parallèle, le groupe Les Républicains a vu diminuer ses effectifs et le nombre de sénateurs seulement « apparentés » ou « rattachés » tripler en 6 ans (11% à 33%) avec l’arrivée d’élus locaux s’affichant comme « divers ». Baisse de l’attractivité de la « marque » des grands partis, difficulté à trouver des candidats encartés sur les listes, attentisme face à la situation politique nationale : les causes sont nombreuses.
L’étiolement du parti « Les Républicains » ces dernières années n’est certes pas un scoop. Mais sa fragilisation au Sénat, véritable « bastion », pourrait avoir des conséquences majeures après le prochain renouvellement. Car, capitalisant sur ses scores honorables aux élections locales, la gauche a comparativement reprend du poil de la bête. L’arrivée de Yannick Jadot ou Ian Brossat montre en outre l’attrait de la chambre haute pour des personnalités politiques fortes qui le boudaient jusqu’alors.
En 2026, après des élections municipales hautement politisées à quelques mois des présidentielles, le renouvellement sénatorial dans des départements tels que la Gironde, le Rhône ou les Bouches-du-Rhône devra être particulièrement scruté. Ces zones, marquées par des basculements politiques notables aux dernières élections municipales, pourraient faire pencher plus à gauche le Palais du Luxembourg. Rôle nouveau, composition évolutive, calendrier électoral risqué : il est nécessaire, pour ceux qui s’intéressent à la décision publique, d’appréhender différemment la place du Sénat.
Arthur Arlaud, Consultant senior, et Matthieu Sénécot, Consultant