Arthur Dreyfuss, Président directeur général d’Altice Media (BFM, BFM TV, RMC…), nous reçoit, avec sa gentillesse légendaire, dans son bureau au Campus du groupe situé dans le 15e arrondissement de Paris pour évoquer son groupe, ses projets et l’actualité.

Corinne Dubos : Ton parcours est impressionnant ! J’imagine qu’il y a beaucoup de travail… mais il y a forcément autre chose ! C’est quoi « ton secret » ?

Arthur Dreyfuss : C’est à la veille de la retraite, que l’on peut dire si ça s’est bien passé ou pas ! Il faut savoir garder la tête froide ; par exemple, quand Vae Solis n’a pas retenu ma candidature en 2012, ça a été une leçon d’humilité (rire) ! Il n’y a pas de secret mais des rencontres : Patrick Drahi, mais avant lui Stéphane Fouks etévidemment Guillaume Didier [NDLR. G. Didier est associé et Directeur général délégué de Vae Solis]. L’enjeu ce ne sont pas les postes ou les fonctions. Chez Altice, il y a un fonctionnement très spécifique qui mélange collectif, travail, confiance, loyauté, dévouement. C’est une entreprise patrimoniale et nous avons tous à cœur de ramer dans le même sens. Celui de la croissance. 

CD : Quelle vision portes tu sur les médias, leurs rôles et leurs responsabilités ?

AD : Nous sommes devenus des partenaires de la vie quotidienne des Français.  BFM vous donne des clés pour mieux comprendre les situations. Ces dernières semaines, je pense que la majorité des Français ne comprenait pas bien ce qui se passait entre la Russie et Ukraine. La réunion des meilleurs experts sur le sujet, les décryptages et l’analyse, les reporters sur le terrain, tout cela fait que 16/17 millions de français se retrouvent chaque jour sur BFM depuis le début de la guerre. 

Pendant la crise du Covid, avec plus de temps à la maison, et cette angoisse collective, nous avons exercé une vraie mission de compréhension de la situation, d’aide à la vie quotidienne. BFM a aidé à prendre conscience de la gravité de la période et accompagner les différentes étapes de cette crise, avec calme et pédagogie. En réalité BFM est devenu un lieu de « communion nationale » : on regarde les grands évènements du monde qu’ils soient heureux ou malheureux… BFM est devenu un quotidien, le premier média que l’on regarde quand on veut être informé. Notre force c’est évidemment le direct. Il se passe quelque chose en France ou dans le monde, on sait que ce sera sur BFMTV ! Notre ambition est de continuer de nous rendre indispensable.

CD : Parallèlement, comment analyses-tu l’évolution des modes de consommation notamment de la jeune génération ?

AD : 100% des Français en âge de s’informer regardent chaque mois BFM TV. Aussi bien à Paris qu’en province, dans les milieux favorisés comme les plus modestes, chez les jeunes comme chez les moins jeunes. C’est unique ; c‘est donc aussi une responsabilité d’être une chaine populaire. C’est intéressant de voir la façon dont BFM est devenu la chaîne d’info pour une tranche d’âge (15-34 ans) que l’on disait éloigné de la télé, de la politique, de l’actualité. Mais BFM n’est pas qu’une TV, c’est une radio depuis peu, un site d’information leader, une présence digitale très puissante, bref la marque synonyme d’infos. Une marque avec ses déclinaisons, BFM Business et désormais BFM en Régions. Avec la plus importante rédaction de France, nous essayons de nous rendre indispensable sur tous les segments que l’on adresse. Côté débats de société et le sport, nous avons aussi RMC : n’importe quelle compétition sportive s’écoute à la radio sur RMC et en particulier le foot. De 15h à 00h, nous ne faisons que du sport, du direct, du débat, avec les auditeurs, fans et supporters. Avec RMC découverte et RMC story, nos chaines de documentaires, nous apportons de la connaissance, de la curiosité.

CD : Comment vois-tu l’évolution de la consommation de l’information entre les canaux historiques et les nouvelles plateformes ?

AD : Notre groupe est le plus récent des médias historiques. Nous sommes devenus un groupe historique par rapport aux nouveaux médias. Notre enjeu c’est de faire en sorte que les 24 prochains mois nous fassent passer d’un groupe broadcast traditionnel à un groupe 100% digital. Aujourd’hui nous consommons la radio ou la télé sur téléphone, ordi, tablette, en live ou en différé. Et c’est cette transformation qu’on opère avec des innovations, des modes de distribution différents, avec des plateformes de streaming et de replay, avec de la technologie, avec des changements en profondeur de notre architecture technique.

En réalité, on ne pense plus à la programmation en tranche horaire comme il y a 10 ans mais d’abord aux contenus et aux programmes et ensuite aux déclinaisons sur nos différents canaux. Nous avons lancé une plateforme de replay pour tous nos contenus TV, avec également des inédits ; en radio, nous avons désormais chaque semaine 700 podcasts dans le groupe. Sur BFM, avec les longs formats par exemple, nous multiplions les programmes qui conjuguent la puissance du reportage de terrain, l’actualité et la capacité d’approfondissement. Ça participe aussi à la transformation de notre offre.

CD : Tu as évoqué les BFM régionaux lancés récemment et je crois que d’autres ouvrent bientôt, quel bilan tires-tu de ces premiers mois ?

AD Effectivement, nous aurons 10 plateformes d’infos locales en 2022. C’est un pari puisque jamais les chaines locales n’ont marché en France. Mais aujourd’hui, face à la surconsommation des GAFAM et plateformes internationales, notre conviction est qu’il y a un besoin de proximité, de local, de savoir ce qui se passe au coin de la rue. 

Nous avons lancé ces chaines locales sur un modèle que nous développons aux Etats-Unis avec la première chaine d’info locale américaine, News12 dans l’Etat de New York. Nous dupliquons ce modèle avec la puissance de la marque BFM, en se lançant à Lyon, Lille, Marseille, Nice, demain en Alsace et après-demain en Normandie. Avec des rédactions locales dédiées, 200 journalistes dans 10 régions, Il n’y a aucune minute d’info nationale sur nos chaines locales ; à l’inverse il y a beaucoup de sujets locaux qui remontent sur les chaines nationales. Ce sont des chaines de la vie quotidienne, de services (météo, trafic, qualité de l’air, sorties, expos etc…), d’utilité pratique, de proximité. Grâce à elles, nous allons couvrir 35 millions de Français ! Aujourd’hui les premiers gagnants de la pub locale, ce sont Google et Facebook… En proposant une nouvelle offre télé-digitale locale, on s’ouvre à de nouveaux annonceurs que sont les TPE, PME, les commerçants avec la possibilité de faire des campagnes de pub à partir de 2000 € ; on s’occupe même de la réalisation du spot ! Nous sommes très fiers de ce nouveau déploiement territorial, très cohérent avec l’histoire d’Altice qui s’est construit ville par ville, et qui continue avec la fibre, la 4G, la 5G…

CD : Peux-tu nous dire un mot de tes projets, objectifs pour les prochains mois ?

AD : L’objectif c’est que l’on se dise que nous sommes devenus un groupe d’audio-vidéo et non plus de télé-radio. C’est vraiment de faire entrer nos marques media dans la vie digitale au sens le plus structurant qu’il soit, avec par exemple, la possibilité de proposer une offre publicitaire totalement nouvelle qui allie le ciblage du digital à la puissance de la TV. 

CD : Et la fusion TF1-M6, Patrick Drahi s’y dit favorable…

AD : Nous sommes en effet pour la consolidation notamment dans les télécoms ; donc en toute logique, aussi pour cette consolidation dans les médias ! Ensuite, ce rapprochement sera une occasion pour nous de racheter TFX (11) et 6Ter (22) si nous obtenons les accords de l’autorité de la concurrence et de l’Arcom. Cela ouvrirait une nouvelle ère pour Altice Media. 

CD : Pour finir, si tu devais choisir un mot emblématique pour l’année 2022, lequel serait-il ?

AD : Populaire ! Nous continuerons d’avoir des médias qui parlent à tous, partout, tout le temps, à être de véritables partenaires de la vie quotidienne. 

Entretien réalisé par Corinne Dubos, associée et directrice générale, avec Nathan Buzelin, consultant-stagiaireVae Solis Communications