Le lien noué par la France avec ses anciennes colonies a toujours été complexe. Façonné par les ambitions et les personnalités des dirigeants qui se sont succédé, il est désormais fragiliséet indéniablement remis en question par un nombre croissant de pays d’Afrique, au profit d’autres puissances émergentes. Décryptage.
L’année 2023 a été le théâtre d’événements majeurs sur le plan politique en Afrique. Au Niger, le coup d’Etat reversant l’ex-Président Mohammed Bazoum s’est soldé pour la France par un retrait militaire, la fermeture de l’ambassade à Niamey et des manifestations particulièrement hostiles à l’égard de l’ancienne puissance coloniale. Comme au Mali en 2021et au Burkina Faso en 2022, la stratégie des putschistes a été de capitaliser sur le sentimentanti-français, particulièrement partagé par une partie de la jeunesse africaine. Un échec pour Emmanuel Macron qui avait pourtant placé la jeunesse au centre de sa politique en Afrique.
Le poids des mots maladroits
Pourquoi ? La France n’a pas su réinventer sa politique à l’égard de ses anciennes colonies. « Elle est restée dans son jus, en décalage avec les aspirations d’une jeunesse africaine animée par une forte volonté d’émancipation », analyse une ancienne diplomate gabonaise. Elle a, aussi, été affaiblie par le manque d’actions, et vidée de sa substance par des mots mal choisis. Chacun se souvient de discours français entrés dans l’histoire pour de mauvaises raisons : les polémiques qu’ils ont suscitées. Celui d’Emmanuel Macron au G20 en 2017 sur le supposé « défi civilisationnel » auquel le continent serait confronté. Celui de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007 pour qui « l’homme africain n’était pas suffisamment entré dans l’Histoire ».
L’influence des puissances étrangères décuplée par les réseaux sociaux… et par la fiction !
Autant d’éléments qui ont ouvert la voie à une influence croissante et agressive sur le continent d’autres puissances étrangères. C’est le cas de la Russie, qui a élaboré des outils de propagande particulièrement efficaces pour décrédibiliser la position de la France en Afrique. En janvier 2023, la branche armée Wagner a ainsi mis en scène le rejet de la présence française au Sahel par le biais d’un clip tendancieux relatant la lutte victorieuse des armées africaines face à l’envahisseur français grâce à l’intervention de combattants russes.
Le procédé peut surprendre, mais il n’est pas nouveau. En 2019, une vidéo glorifiant la présence russe en Centrafrique et la coopération des deux pays était rapidement devenue virale sur Youtube. Et, fin 2022, une vidéo du même acabit assimilait Emmanuel Macron a un rat pilleur. Apparemment grossiers, voire grotesques, ces outils sont particulièrement efficaces : les clips sont courts – donc facilement exportables – ils paraissent candides mais sont vecteurs de messages forts. Leur diffusion a été massive sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, dans une région du monde de plus en plus connectée.
Outre-Atlantique, c’est le film à succès « Black Panther II » qui a servi de levier dans cette guerre informationnelle à travers une séquence mettant en scène des soldats français accusés de pillage de ressources naturelles, prisonniers à genoux devant la reine d’un royaume africain fictif, en tenue proche de celles des soldats français déployés au Mali jusqu’en août 2022. « Une représentation mensongère et trompeuse » que Sébastien Lecornu, ministre français des Armées et de la Défense, a tenu à condamner publiquement.
La France à l’épreuve de la mondialisation
L’influence en déclin de la France dans cette région du monde est le miroir de la lutte qui se joue actuellement sur la scène internationale. La propagande russe a fait de Vladimir Poutine un champion de l’anticolonialisme, l’un des rares dirigeants au monde à s’opposer de façon franche et explicite au prétendu « système néocolonial » de l’Occident. La Chine, bien que soumise à un ralentissement économique d’une ampleur historique et significative, demeure ledeuxième modèle de développement préféré des africains. Quant à « l’American Dream », ilséduit toujours autant.
Au total, la puissance de la Russie attire, le développement rapide et soutenu de la Chine inspire et les Etats-Unis font toujours rêver. Difficile de rivaliser avec un tel triptyque, la France dispose néanmoins de plusieurs atouts qu’il devient urgent de valoriser.
Redonner envie
La France doit redevenir désirable, tant sur la forme que sur le fond. Elle gagnerait à rompreavec les anciens procédés traditionnels devenus obsolètes (discours, tournées etc.) et à s’appuyer davantage sur les ambassades pour s’adresser avec finesse et subtilité à la société civile. Il n’est en effet plus tenable de suivre une stratégie qui n’inclurait que des dirigeants politiques quand ceux-ci peuvent être renversés du jour au lendemain.
Il serait par ailleurs pertinent de songer à un renouvellement de l’offre médiatique proposéepar la France à l’étranger. Certaines chaînes comme TV5 Monde ou France 24 mériteraient d’être enrichies avec des programmes davantage adaptés aux zones géographiques qui prennent en compte les particularités culturelles de chaque pays.
Les réseaux sociaux doivent enfin être réinvestis : aujourd’hui, la France semble y laisser le champ libre à l’installation d’un narratif contraire à ses intérêts. Il y a près de deux ans déjà que circule en Afrique l’information selon laquelle le Quai d’Orsay aurait été chargé de lancer un média d’influence sur Internet pour contrer les narratifs anti-français. Reste à savoir siJérémie Robert, le nouveau conseiller Afrique d’Emmanuel Macron, en fera une priorité.