Du 6 au 15 novembre 2023, le procès inédit d’un ministre en exercice devant la Cour de justice de la République (CJR) aura été marqué par l’omniprésence paradoxale de la communication dans la salle d’audience historique du Palais de justice de Paris. Témoignage…
Lorsque les portes de la salle de la première chambre civile de la cour d’appel de Paris s’ouvrent, elle déferle. Lorsque le public entre, elle le saisit. Elle suinte des murs et des bancs. La communication est partout.
Une communication visuelle
Scène presque irréelle : d’ordinaire invité d’honneur dans cette salle prestigieuse, le garde des Sceaux s’assoit sur le banc des prévenus. A sa droite, deux greffières et cinq députés. A sa gauche, les deux représentants du ministère public puis cinq sénateurs. Au bout de ces deux enfilades de sièges président un sénateur, trois magistrats professionnels et un député. Chaquerang se double, à l’arrière, de celui des suppléants. Le président siège à huit mètres d’Éric Dupond-Moretti… Image écrasante : de sa place, là-bas, le ministre fait face à 30 magistrats.
Cinq mètres plus haut, la presse s’installe sur la mezzanine. Lors des suspensions d’audience, le ministre quitte la salle par une porte dérobée à gauche tandis que les journalistes sortent par celle de droite. Aucun échange. Les avocats de la défense se refusent aux commentaires, le procureur général également. Les parties civiles ne sont pas admises devant la CJR, privant de parole les avocats des témoins. La chronique judiciaire est reine : les journalistes relatent l’audience, décryptent les sous-entendus, moquent la communication off dénoncée par les parties, se souvenant avoir eux-aussi bénéficié de propos prononcés sous le manteau. La com officielle n’est nulle part, la com, partout…
Une communication d’initiés
C’est que cette audience rassemble des acteurs appelés à se côtoyer au quotidien dans un entre-soi de la haute magistrature dénoncé en son temps par le ministre mais auquel il participe désormais. Des directeurs d’administrations centrales témoignent pour ou contre leur ministre à moins d’un mètre de lui. Le procureur général requiert contre celui qui l’a nommé. Des magistrats s’expriment comme témoins après avoir été mis en cause par leur ministre. Le verbe est policé, les colères sourdes. Tous exercent sous l’autorité du prévenu d’un jour, ignorant alors s’il demeurera leur chef. L’oralité des débats prend nécessairement une tournure particulière. Chacun des initiés, à commencer par la presse spécialisée, décode chaque supposée douceur finalement assassine, tel qualificatif si fourbe quand on sait le lire entre les lignes. Haine contenue, goût amer : personne ne semble à sa place.
Une communication vite balayée
La composition de la cour de justice de la République elle-même sera contestée, les parlementaires y endossant temporairement le rôle de magistrats. L’habit fait-il le moine ? Cette question planera jusqu’au délibéré et rebondira à la veille de son prononcé le 29 novembre. Car, déjà, le bruit de la relaxe court dans les couloirs du palais de justice habitué au respect du secret. Le débat sur l’existence même de la CJR, aussi vieux qu’elle (trente ans),est relancé, la com se déchaine : « clémence pour les élus », « déni de démocratie », « juridiction de l’entre-soi ». Puis, une fois refermée la porte de cette salle à dimension décidément historique, chacun reprendra son rôle. Et le silence reviendra.